LES ANNEES 40, souvenirs rapportés…

Fabrice Martin nous rapporte les souvenirs de sa famille qui habitait la maison qui abrita  l’ancienne auberge du Cheval Blanc (36, rue Saint-Sulpice), face à l’ancien champ de foire, l’un des lieux de détention des prisonniers de juin 40:

Charroux – Fin des années 30, Edgard et Jean-Jacques Martin enfants, avec une petite voisine, devant l’ancienne auberge du Cheval Blanc – propriété Martin ©Fabrice Martin

« Mon père et mon oncle, Edgard et Jean-Jacques Martin, avaient respectivement 10 et 8 ans en juin 1940. Ils étaient en vacances chez leurs grands-parents à Charroux, Marie-Clémence et Célestin Martin, à l’entrée de la rue Saint-Sulpice, face au champ de foire, l’ancienne auberge du Cheval Blanc bâtie en en 1869 sur la dernière porte de ville.

Charroux ancienne auberge du Cheval Blanc – propriété Martin ©Fabrice Martin

En cet après-midi de juin, mon père, assis sur le petit mur de la cour, à côté du portail de la maison, vit d’abord les soldats de l’armée française en déroute, s’installer sur le champ de foire. Leur équipement était très rudimentaire : des charrettes, des chevaux, peu de blindés … Les allemands arrivèrent en bon ordre et motorisés avec side-cars, automobiles, camions, blindés, etc …et bouclèrent le champ de foire. Pour mon père et mon oncle, la raison de la défaite était compréhensible. Les français furent aussitôt faits prisonniers, mais il semble que les allemands attendaient des ordres, la surveillance était molle . Ludovic Brault, un oncle de notre famille,  se demandait s’il devait rester. Un allemand dit à ma grand-tante Mathilde Bardon « Emmenez-le, madame, quand les uniformes noirs seront là, on ne pourra plus rien faire … et Ludovic partit avec les habits trop courts de l’oncle Bardon, sur son vélo !

La croix gammée flottait désormais sur le monument aux morts, et les allemands logeaient chez l’occupant. Il y en eut de deux sortes rue Saint-Sulpice : des officiers peu sympathiques qui ciraient leurs bottes sur les chaises de la maison Martin, et d’autres plus gentils. Ceux-ci donnaient des chocolats aux enfants, mon père les jetait, il pensait qu’il étaient empoisonnés. Mon oncle les acceptait, et … ils avaient exactement le même goût et le même aspect que le chocolat Kinder ! Un des allemands, très sympathique, avait offert son petit couteau de poche à mon oncle avant de partir. Il ne faut pas oublier que derrière ces ennemis en uniforme il y avait des êtres humains loin de leur foyer, de leurs enfants, …
Un autre allemand, sur les marches du café Gagnadoux en face avait demandé à un petit garçon (3 – 4 ans) « Alors, mon betit, où est-ce qu’il est ton baba ? »  Réponse  : « Mon papa, ilestpartiàlaguèrpoutuéhitler » L’allemand avait-il compris ? Mon oncle espérait que non …
Il y eut aussi cet autre qui avait défendu mon oncle, un soir. Ma grand-tante le grondait parce qu’il faisait un caprice. « Madame, ce n’est pas comme ça qu’il faut faire avec les enfants… » Plus Mathilde se fâchait, plus mon oncle pleurait, plus l’allemand le défendait, mais ma grand-tante Mathilde dut avoir le dernier mot. Elle aurait arrêté un régiment de Panzers, selon mon oncle.
 
La maison Gagnadoux (18, route de Châtain) était aussi occupée, les allemands au repos avaient la belle vie. Mon père vit un jour l’un d’eux assis sur le rebord d’une fenêtre, mordant alternativement une motte de beurre et un saucisson. En parlant de charcuterie, Gaston Ogier, boucher et figure locale charloise, avait un jour servi du saucisson à mon grand père en disant avec un clin d’oeil « Tenez, m’sieur Martin, c’est du salaud de boche ».
En fait, la grande terreur des allemands était de débarquer en Angleterre. Les français le savaient et leur disaient « ça fera glouglou dans les bottes »; effet garanti …
A côté des allemands, la maison rue Saint-Sulpice accueillit aussi des réfugiés, certains peu corrects : l’un, très frileux, brûla les archives familiales de la grand-mère dans la cheminée, une autre, nantaise et portée sur la boisson, distribua toute la batterie de cuisine aux voisins !
Il y eut aussi, plus sympathiques, madame Vemer et sa fille, mosellanes. Madame Vemer nous laissa une casserole en alu, sa fille s’engagea, peut-être de force, dans les jeunesses hitlériennes et donna son imperméable à mon oncle. »
 
à suivre…
 
Autres souvenirs rapportés par Madeleine Souchaud (née Chauveau), dont les grands-parents  Thomas habitaient la maison de famille (Bourdier-Fayolle), sise au 4, place de la Cahue.

Charroux – ancienne maison Bourdier-Fayolle, 4 place de la Cahue

« Je relate ce que m’a dit ma mère. La maison était occupée par des allemands (qui paraît-il aimaient beaucoup les omelettes).
Mon grand père, étant originaire de Nancy parlait très bien l’allemand. Il pouvait donc discuter avec eux. 
Un jeune allemand, Hans Schobel, a retrouvé notre famille. Il avait sans doute apprécié ‘l’accueil’. Il a écrit quelque temps après la guerre à Charroux et la lettre est parvenue à ma mère bien qu’elle n’habitait plus Charroux, mais Genouillé. 
Il y a eu aussi des réfugiés mosellans qui habitaient la petite maison des gardiens. »
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« Ma famille avait beaucoup aidé, pendant la guerre 39-45, Madame Szyfer, la fille du peintre André Brouillet; elle était chanteuse à l’Opéra, et son mari, d’origine polonaise, chef d’orchestre à l’Opéra de Paris.
Quand je suis partie travailler à Paris, j’ai été hébergée chez elle la première année en 1966.
Ils sont enterrés à Couhé-Vérac où ils avaient également une *maison. »
 
maison: il s’agit de la maison de l’artiste André Brouillet, située à Valence, maison qu’il appelait « son gourbi » en référence à sa période artistique orientaliste et à son séjour en Algérie Française.